Le Pierrier d’Alaska


Photo n°1 - Le pierrier de M. James T. Brennan à Port Townsend

 

Le 29 janvier 2020 le Musée Maritime de Nouméa reçu un étonnant message de M. James T. Brennan, américain vivant à Port Townsend dans l’Etat de Washington aux Etats-Unis.

Cet homme cultivé et bien au fait du passage de l’expédition La Pérouse en Alaska durant l'été de 1786, nous demandait des informations sur un petit canon en bronze qu’il avait hérité de son père. Ce dernier, pêcheur et armateur né à Petersburg, petite ville située au nord de l’île de Mitkoff en Alaska, fréquentait régulièrement les habitants indiens de la région. C’est lors d’une de ses campagnes de pêche dans les années mille neuf cent cinquante, qu’il fit l’acquisition auprès des indiens Tlingit du sud de l'Alaska de cette « bouche à feu ».

On peut raisonnablement penser qu’il provient de l’expédition française. Il est intéressant de noter que Lituya Bay, où La Pérouse séjourna en juillet 1786, se trouve à vol d’oiseau à trois cent cinquante kilomètres de Petersburg.

Vivement intéressée, l’Association Salomon demanda à Joël Marc, ami et fervent adepte des navigations en Alaska à bord de son bateau Jade*1, si lors de son passage programmé fin 2020 dans les environs de Seattle dans l'état de Washington sur sa route vers l’Alaska, il lui serait possible de prendre contact avec M. Brennan pour plus d’informations sur l’objet qu’il possédait.

Rendez-vous fut pris. Prudents au début pour cause du covid 19, M. et Mme Brennan accueillirent chaleureusement notre ami. Invité à diner  Joël passe une agréable soirée  dans leur villa où le petit canon tient la vedette.

Ce canon en bronze, par ses dimensions et son poids est en fait un pierrier. Nous sommes attirés par les inscriptions qu’il porte et que nous ne connaissons pas. Sur la bande de culasse on peut lire : FAIT PAR DUPONT A ROCHEFORT – 1762. Sur son tourillon gauche l’inscription N°36 et celui de droite 140 ce qui correspond à son poids en livres*2.

 

Photo N° 2 - Détails du pierrier de M. James T. Brennan.

 

C’est le même type d’inscriptions que l’on peut lire sur les tourillons des pierriers trouvés à Vanikoro depuis Peter Dillon en 1827 jusqu’à la dernière expédition de l’Association Salomon en 2008. Ils sont de formes bien différentes. Etonnement, à la place du bouton de culasse habituel, on trouve une épaisse platine verticale percée de deux trous, peut-être pour y fixer une poignée en bois?

Renseignements pris et en remontant la piste du sieur DUPONT, fondeur à Rochefort de 1762 à 1787, nous avons la surprise de retrouver un pierrier parfaitement identique, du même fondeur et même date, conservé au Musée de la Marine de Paris. Le directeur des collections Olivier Quiquempois, nous apprend que l’objet a été cédé au Musée de la Marine par le Cercle naval de Brest le 11 mars 1964, sans plus de détails. Des recherches sont en cours pour essayer de retracer son parcours de 1762 à nos jours.

Mais revenons au pierrier d’Alaska qui nous intéresse.

Le 13 juillet 1786, c’est dans la passe qui donne accès à la magnifique baie de Lituya au sud de l’Alaska, que 21 marins de l’expédition La Pérouse disparurent.  Leurs deux biscayennes entraînées à marée descendante dans un violent mascaret firent naufrage. On sait que ces embarcations d’une douzaine de mètres étaient armées de pierriers. Ceux-ci étaient fixés sur un chandelier de pierrier, sorte de fourche qui prenait place verticalement dans un trou percé à cet effet dans la lisse.

 

Photo N° 3 - Chandelier de pierrier ramené par Peter Dillon en 1827 Photo MnM

 

Il est probable que le pierrier de M Brennan soit mêlé à ce drame. Les biscayennes étaient des embarcations en bois et sans lest. Toujours flottantes après avoir chaviré, elles ont dû dériver au large, puis le vent et les courants les ont ramenées à la côte où elles se sont échouées. Une aubaine pour les tributs Tlingit de la région.

Le Directeur des collections du Musée de la Marine émet un doute sur cette provenance. Il est vrai que les navires de la Marine Royale étaient équipés d'un armement standard.

 

Photo N°4 - Pierrier d’un armement dit standard retrouvé à Vanikoro (Photo MnM Arnaud FUX)

 

Les pierriers d'une demie livre et d'une livre*3 retrouvés en nombre à terre et sur les deux sites sous-marins à Vanikoro sont tous parfaitement identiques dans leurs formes, seuls les numéros d'inventaire et de poids gravés sur les tourillons sont évidemment différents.

Pourtant lors de l'expédition de 2003, au cours des fouilles dans la faille dite de La Boussole, nous avons fait une étrange découverte, celle d’un pierrier en bronze de forme très différente. Plus ramassé, il est pourvu d’un numéro d'armement et de son poids sur les tourillons. Il porte sur sa bande de culasse l'inscription : FT (fécit) P. BAZIN*4 A  NANTES - 1779 et gravé sur la volée un nom: Le Dragon.

 

Photo N°5 - Pierrier le « Dragon » site de la faille 2003 (Phot. Teddy Seguin DRASSM)

 

Photo n°6 - Détails du pierrier le « Dragon » (Phot. Teddy Seguin DRASSM)

 

Quelle mystérieuse et passionnante histoire l’a amené à bord du navire de La Pérouse? Cette présence insolite nous permet cependant de penser qu'elle pouvait ne pas être la seule, et pourquoi pas le pierrier de M. Brennan?

 

 

*1 - Consulter le site « Myjade.fr »

*2 - Une livre royale vaut : 0,489.5 gr

*3 - On parle ici du poids des projectiles

*4 - La cloche retrouvée en 1964 sur le site de la faille fut fondue par le même Sieur BAZIN.